Mai 2025

Faire du bien avec des fleurs d’ici

Sustainable gardening work inside an eco-friendly wooden greenhouse, with seedlings and growing plants under abundant natural light.

Photographie

Catherine Bernier

Texte

Catherine Bernier

Des petits bâtiments et des serres chauffées à l’énergie verte poussent dans les champs enneigés de Grand-Métis pour abriter toute la beauté que Ora-Maggie Beaulieu-Pelletier et Skot Morgan cultivent. Les propriétaires de la Ferme Pastel ont pour mission de produire les fleurs les plus écologiques qui soient localement, presque exclusivement en hiver.


Dans la serre de type Earthship, Scot sème les semis d’eucalyptus et divise les tubercules de dahlias, alors que les chats se prélassent au soleil. La chaleur est à son comble malgré l'épais manteau d’hiver qui traîne encore dans la cour. « La serre solaire passive est un peu comme une île secrète au beau milieu d’un océan de neige. Voir éclore les premières fleurs alors qu’on est entouré de neige, c’est magique » confie Maggie, sourire aux lèvres. Cette serre qu’ils ont construite eux-mêmes à partir de matériaux recyclés — pneus, bouteilles, argile — utilise la masse thermique pour capter, stocker et redistribuer la chaleur naturellement.

Dans la grande serre chauffée par la biomasse issue de résidus forestiers de la région, Maggie coupe les dernières tulipes qui auront comblé le cœur des amoureux pour la Saint-Valentin. Entre deux rangs de fleurs en dormance pour les prochaines fêtes, leurs deux filles Leonne et Alfée participent aux tâches, à leur manière. Tantôt on les aperçoit arroser les bulbes de tulipes avec leur père, tantôt elles grignotent des feuilles de laitue dans le rang réservé au potager familial hivernal. « Je n’ai pas besoin de me soucier de leur apport en légumes, elles sont de vraies petites herbivores », confie Maggie en riant.

La Ferme Pastel est avant tout le projet de vie d’une famille. Maggie a grandi sur la ferme biologique de ses parents à Grand-Métis. Après des études en travail social, elle a ressenti le besoin viscéral de revenir à la terre. C’est en Colombie-Britannique, sur une petite ferme florale, qu’elle a découvert une nouvelle manière de cultiver — et rencontré Skot. « On est tombé amoureux et on a ensuite démarré Ferme Pastel. Notre relation est donc à la base de notre projet d’affaires, mais le succès de notre couple est plus important que le succès de notre entreprise », avoue Maggie. Ensemble, ils ont décidé de créer une ferme à leur image, où ils élèvent leurs filles sans compromis sur leurs priorités familiales.Au départ, la ferme se concentrait sur les cultures de saison chaude : des champs en fleurs, des évènements et des marchés d’été. Mais au fil des années, un constat s’est imposé : dès l’automne, le marché local est saturé de fleurs importées, souvent issues de pays lointains, transportées par avion et chargées d’une lourde empreinte écologique. Ce constat a poussé Maggie et Skot à repenser leur modèle d’affaires. « L’été c’est déjà l’abondance des fleurs dans la cour des gens, alors qu’en hiver, ils doivent se tourner vers des fleurs qui auront voyagé très loin avant d'atterrir dans leur vase », explique Maggie.

Plutôt que de se résigner à l’impossibilité de produire localement en hiver, Maggie et Skot ont intégré la culture hivernale à leur modèle de production pour cultiver des fleurs locales, de février à mai. « Sur le plan humain, cette concentration dans le calendrier nous permet de rendre accessibles des fleurs à beaucoup plus de familles de la région », explique Maggie.Grâce à une planification rigoureuse, ils parviennent à faire pousser un variété de fleurs comme les tulipes —45 variétés pour être précis—, des renoncules, des asters, des zinnias, des dahlias, de l'eucalyptus, des anémones et des narcisses et bien plus. Les fleurs de la Ferme Pastel n’ont aucun besoin de transport aérien ni d’entrepôts frigorifiques. Elles sont cultivées à Grand-Métis, dans les conditions uniques du Bas-Saint-Laurent, offrant une alternative aux fleurs importées au moment où la demande est la plus forte, soit à la Saint-Valentin, à Pâques et à la fête des mères.

Ce virage audacieux dans un climat comme celui du Bas-Saint-Laurent a demandé des efforts constants d’adaptation et d’expérimentation. Mais pour Maggie et Skot, ce choix a donné un sens profond à leur travail : offrir à leur communauté de la beauté locale et durable, en accord avec leurs valeurs écologiques et familiales. « Parfois, il faut aller à l’inverse de ce qui est attendu de nous », explique Maggie. Et c’est exactement ce qu’ils ont fait, prouvant qu’il est possible de cultiver des fleurs localement, même au cœur de l’hiver québécois. « Cette décision d'entreprise est aussi une décision familiale et professionnelle. Se concentrer sur les fleurs hivernales va simplifier la charge de travail de notre petite équipe et la vie de notre famille », confie Maggie. Dans l’espace boutique qui sert de studio d’assemblage des bouquets et de chambre froide, se dresse une grande toile où on peut lire : « Faire du bien avec des fleurs d’ici, même l’hiver », un message porteur d’espoir. Les filles s’amusent à concocter leurs propres petits bouquets. Elles font fleurir leur enfance dans un milieu doux et apaisant qui inspire les changements de paradigmes.

En réinventant leur façon de cultiver, Maggie et Skot ont fait bien plus que d’offrir de jolis bouquets: ils ont tracé une nouvelle voie pour une floriculture plus responsable. Leur démarche, profondément liée au respect de la terre, du vivant et de la proximité, prouve qu’il est possible de faire autrement — de créer de la beauté sans compromis, même en hiver. « Ceci dit, on n'est pas prêt à complètement abandonner toutes les fleurs dîtes d’été. Skot aime trop les dahlias et moi l’eucalyptus », confie Maggie. Des bouquets seront disponibles dans les boutiques locales et sur commande. Le couple s’engage aussi à partager leurs trucs et astuces pour inciter et accompagner leur communauté à faire pousser eux-mêmes leurs fleurs estivales préférées, notamment sur leur blogue.

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Quelques conseils de la Ferme Pastel pour cultiver tes propres fleurs cet été :

1. Commence petit, puis agrandis à ton rythme. 

Pour une première année, mieux vaut démarrer avec un petit jardin et l’agrandir au fil du temps, au fur et à mesure que tes ressources grandissent. « Quand je parle de ressources, ça peut être autant la motivation, le temps, l’argent que les connaissances, » explique Maggie.

2. Privilégie un jardin linéaire plutôt que des plates-bandes. 

Un jardin linéaire, c’est une parcelle droite — par exemple 1 mètre de large par 6 ou 10 mètres de long. Contrairement aux plates-bandes en forme de goutte ou plus ornementales, ce type de jardin est beaucoup plus simple à planifier, à désherber, à arroser… et à récolter. 

À titre d’exemple, une planche de 6 mètres demande environ 15 à 20 minutes par jour, incluant l’arrosage. Et pour 2 ou 3 gros bouquets par semaine, une seule planche de 75 cm par 6 m (environ 2,5 x 20 pieds) suffit amplement. Une idée concrète :

  • 2 m de zinnias
  • 2 m de cosmos
  • 2 m partagés entre tournesols et quelques essais personnels (une nouvelle variété qui te tente, par exemple!)

3. Choisis des fleurs qui se régénèrent quand on les coupe. 

Certaines fleurs ne fleurissent qu’une seule fois… mais d’autres se remettent à fleurir dès qu’on les coupe. Ce sont ces dernières qu’on vise! Les grandes championnes dans cette catégorie : les cosmos et les zinnias. Parfaites pour un jardin productif, même avec peu d’espace ou de temps.

4. Opte pour des variétés hautes. 

En pépinière, évite les cultivars dits « nains » qui produisent des fleurs très courtes, difficiles à intégrer dans des bouquets. Privilégie plutôt des variétés qui atteignent au moins 45 cm de hauteur, pour te donner plus de liberté en design floral.

5. Pas de place dans le potager? 

Commence dès maintenant pour l’an prochain. Si ton potager est déjà plein, pas de souci. Tu peux simplement réserver une parcelle de pelouse et y poser une toile opaque (qui bloque lumière, air et eau). Laisse-la en place environ 2 mois pour éliminer les herbes tenaces comme le chiendent ou les pissenlits. Si tu la poses maintenant, tu pourras l’enlever en septembre et commencer à préparer le sol pour ton futur jardin fleuri.