Août 2025

Guérir, un atelier d'art à la fois

Three people standing in front of an open garage-style workshop door of a blue industrial building. A bicycle with a green crate is parked on the left, while a wooden planter box sits on the right. Inside, worktables and shelves with supplies are visible.

Photographie

Catherine Bernier

Texte

Catherine Bernier

L’été tire à sa fin, mais la chaleur persiste au cœur de Kjipuktuk (quartier nord de Halifax, en Nouvelle-Écosse). Dans une petite rue, je découvre le Wonder’neath Art Center, un lieu où l’art devient à la fois lien social et outil de transformation personnelle et collective. C’est là que Kawama Hope Kasutu exerce son rôle de facilitatrice, mais aussi d’artiste engagée.

 


Dès qu’on franchit les portes de l’organisme, on est frappé par l’ambiance chaleureuse et foisonnante. Aujourd'hui, comme tous les samedis, c’est la session d’Open Studio pour tous. Kawama et ses collègues, Prince Churchill et Eli Wood accompagnent enfants et adultes, aidant chacun à donner forme à ses idées et à ses émotions à travers la peinture, le textile, le bricolage, le dessin ou la couture.

À une table, une mère et ses enfants découvrent le feutrage à l'aiguille. À une autre, une jeune fille choisit minutieusement chaque bille pour un bracelet. « Ici, tout le monde est bienvenu, peu importe son âge, son identité, son origine ou son parcours », explique Kawama. Certaines journées, jusqu’à cinquante personnes participent aux ateliers. C’est un véritable carrefour d’expression intergénérationnel et multiculturel.

« J’aime voir comment chacun, à son rythme, trouve sa voix à travers l’art », confie Kawama. « Il y a cette magie quand l’expression artistique permet de dire ce qu’on ne peut pas toujours formuler autrement. » Elle s’efforce de créer un climat de confiance, un espace où les différences culturelles deviennent une richesse, où le vécu se transforme en moteur de création et de changement.


En parallèle de son travail communautaire, Kawama réalise des œuvres personnelles puissantes, imprégnées de ses origines zambiennes et de son histoire familiale. Elle mêle textiles, peinture et sérigraphie pour explorer et affirmer son identité culturelle.

Un de ses projets les plus marquants revisite une chaise ancienne, vestige d’un passé douloureux où certains meubles étaient rembourrés avec des cheveux de personnes noires. Kawama la réinvente en y tressant délicatement des mèches et des perruques, transformant un symbole de domination en une œuvre de dignité et de beauté. « C’est ma manière de réconcilier l’histoire avec aujourd’hui, de rendre hommage à ceux qui ont souffert d’injustice, tout en célébrant leur résilience. »


À travers ses créations, Kawama explore son identité en tant que membre de la communauté noire néo-écossaise et ses racines zambiennes.
Elle n’avait que deux ans lorsqu’elle a quitté la Zambie avec ses parents pour s’installer en Nouvelle-Écosse. « J’ai grandi ici, j’ai presque toujours vécu dans cette province, mais mes racines sont profondément zambiennes », raconte-t-elle. Aujourd’hui âgée de 26 ans, elle se souvient des quinze années d’incertitude et de stress qu’a représenté pour sa famille le processus d’immigration.

« Même enfant, je ressentais cette tension. Mes parents avaient peu de temps pour m’expliquer, alors j’ai cherché mes propres moyens d’apaiser mon esprit. L’art est devenu mon refuge, un moyen de comprendre mes émotions et de raconter mon histoire. »

Avec le temps, cette passion est devenue un engagement. Kawama termine cette année une maîtrise en art-thérapie, tout en restant profondément investie dans sa communauté. Son implication à Wonder’Neath a consolidé sa conviction que l’art est un puissant outil de guérison. Avant de devenir Lead Facilitator pour l’Open Studio, elle a d’abord travaillé comme facilitatrice au Biking Art Program, offrant des ateliers d’art dans différents quartiers. « J’ai dû surmonter ma peur de circuler à vélo en ville, mais ce rôle m’a permis de créer des liens précieux avec les communautés avec qui je voulais travailler. »


Pour Kawama, l’art est une force de guérison, de dialogue et de transmission. « À travers mes créations, j’ai appris à mieux me comprendre, à comprendre les autres et à tisser des ponts entre mes deux cultures. C’est ce que j’essaie d’offrir aux gens que je rencontre : un espace où ils peuvent eux aussi se raconter. »

Avec son collègue Prince, elle a développé Colored Courage, un atelier destiné aux jeunes d’ascendance africaine en Nouvelle-Écosse, pour les soutenir face au racisme et à la discrimination. « Ce projet est né de nos propres expériences. À travers l’art, nous voulons offrir un espace d’accueil, de reconnaissance et de force. »

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Dans le studio, les œuvres des participants prennent formes et couleurs. Les sourires aux lèvres et la concentration de chacun témoignent d’une complaisance à l’activité artistique. Kawama prend le temps d’admirer les créations de tous, de remarquer des détails et de poser des questions. On sent la confiance qui s’installe et les liens qui se tissent. Mission accomplie pour aujourd’hui!


À travers son parcours et son engagement, Kawama Hope Kasutu nous rappelle que l'art est un puissant vecteur d’identité, de résilience et de guérison. En reliant son héritage africain, son vécu en Nouvelle-Écosse et son travail communautaire au Wonder’Neath Art Center, elle montre que l’art peut être un pont entre les cultures, une clé pour comprendre le passé, apaiser le présent et bâtir un avenir plus inclusif.